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Principe de proportionnalité : bonne ou mauvaise idée ?

A la faveur de l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, le principe de proportionnalité est introduit dans le droit français. Sous l’influence du droit anglo-saxon, pour lequel la notion économique est prédominante, il est désormais suggéré d’analyser les conséquences de la non-conformité. Débat.

Comme l’écrit Me Philippe Kaigl, avocat au barreau de Grasse et Maître de conférence à la faculté de droit et science politique de Nice Sophia-Antipolis, « l’article 1134 du code civil est mort, vive l’article 1134 ».

Cet Article se trouve désormais codifié sous les Articles 1103 du Code Civil : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » ; 1104 du Code Civil : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public » et 1193 du même Code : « Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise ». Quant à l’Article 1134 à proprement parler, celui-ci ne disparaît pas. Il est dorénavant consacré au régime de l’erreur, vice du consentement.

Fortes résistances des tribunaux

Me Patrick Melmoux, avocat au barreau de Montpellier, spécialiste en droit immobilier explique que « Si des travaux réalisés par un constructeur ne sont pas conformes, on peut exiger leur mise en conformité car la convention fait la loi des parties. Or, on sent de plus en plus des résistances fortes de la part des tribunaux et de la Cour de Cassation face à cette automaticité ». Dans le droit anglo-saxon, la notion économique est prédominante et fait pression sur l’Europe et plus particulièrement sur la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour que ce système l’emporte sur ce droit, avec la mise en place du principe dit de proportionnalité.
« Ce que l’on regarde désormais, note Me Melmoux, c’est l’intérêt des parties en présence et, plutôt que d’appliquer strictement un texte qui aurait des conséquences économiques parfois très lourdes, il convient d’analyser les conséquences de la non-conformité ».

L’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 consacre le principe de proportionnalité. Aussi, en présence d’une demande d’exécution de dispositions contractuelles, il revient au juge de s’assurer qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre l’intérêt du créancier et le cout ou la gravité du manquement du débiteur. Ceci étant, l’apparition de cette notion nouvelle amène de nombreuses interrogations. « Doit-on considérer que l’ancien Article 1134 alinéa 2 du Code Civil disposant que le créancier peut exiger de son débiteur qu’il exécute les travaux conformément aux termes du contrat est toujours d’actualité ? », questionne Me Melmoux , « Où bien va-t-il être battu en brèche par les juges alors même que cette Ordonnance de 2016, entrée en vigueur le 30 septembre 2016, ne s’applique, du fait de la non rétroactivité des lois, qu’aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016 » ?

Des bons et des mauvais côtés

Selon Hugues Périnet-Marquet, Professeur de droit privé à l’Université Paris II Panthéon-Assas, « on peut analyser ce principe de proportionnalité introduit dans cette ordonnance de deux manières possibles. Par rapport à nos habitudes, cela peut être considéré comme dangereux car c’est un pouvoir qui est donné au juge. Cependant, le juge s’est déjà octroyé ce pouvoir de proportionnalité sans le concours de la loi ».

M. Périnet-Marquet ajoute que le principe de proportionnalité revêt « de bons et de mauvais côtés ». « Le pouvoir donné au juge introduit une incertitude dans l’application du contrat : on va désormais pouvoir discuter, notamment sur l’exécution en nature. Et une insécurité en découlera. D’un point de vue général, ce principe n’a toutefois pas que des inconvénients. Il permet notamment, en droit administratif, de sauver des marchés publics qui auraient pu être annulés à la suite d’erreurs mineures de forme ».

Il convient donc « de faire la distinction entre des contrôles de proportionnalité qui porteraient sur des vices juridiques, et des contrôles de proportionnalité qui porteraient sur des circonstances économiques ». Dans ce dernier cas, « les risques sont un peu plus importants. Mais il ne faut pas oublier que les textes sur la proportionnalité sont des textes peuvent être écartés ».